Défense & Election Présidentielle, la question du nouveau porte-avions

 
Le second porte-avions français, censé venir seconder le Charles De Gaulle, est peu à peu devenu un habitué des élections présidentielles. Néanmoins, cette fois, le prochain Président de la République devra trancher, et vite. Les candidats se sont positionnés.

Cet article a été publié dans un premier temps sur le blog Pax Aquitania dans le cadre d’une série comparative des programmes des candidats à l’election présidentielle du 24 avril 2017.
Photo: le porte-avions Charles De Gaulle en 2015 – Marine Nationale

Promis dès 2007 par Nicolas Sarkozy, le « PA2 » fut l’une des grandes victimes de la chute des budgets de la défense nationale. Son destin fut même lié pendant un temps à celui des deux portes-avions britanniques, projet qui sombra avec les 100 millions d’euros investis par la France. Depuis, il alimente les débats, mais n’avait jamais semblé ne serait ce qu’approcher le haut de la pile des dossiers prioritaires. Jusqu’à cette campagne électorale 2017 donc.

Nous l’affirmions en début de semaine, le prochain quinquennat pourrait bien être marqué par une hausse conséquente du budget de la défense. Et comme un symbole de ce désir de remonter en puissance, les candidats à la présidentielle François Fillon, Benoît Hamon, Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignant se sont publiquement prononcés pour le lancement d’un second porte-avions.
Jean-Luc Mélenchon, lui, est plus ambiguë sur le sujet, mais nous allons y revenir.

Sont en jeu ici la permanence à la mer (enfin le sujet de la puissance maritime française revient sur le devant de la scène) de la Marine Nationale, ainsi que l’outil diplomatique. Car oui, un porte-avions, comme nous l’avons vu avec les américains face à la Corée du Nord, où les russes avec le Kuznetsov fin 2016, est un bel outil pour affirmer sa puissance sur la scène internationale.
Si on ne peut plus vraiment les qualifier de « game changer » sur les théâtres d’opération, les porte-avions offrent une capacité de « surge », mais sont surtout devenus un véritable aimant médiatique ! Il n’y a qu’à voir le traitement par les médias du monde entier du départ du Charles De Gaulle pour la mission « Arromanches » fin 2015, dans la foulée des attaques de Paris. Pourtant planifié avant les attentats, l’envoi du navire amiral français avait été interprété comme une riposte musclée.

Faisons l’inventaire donc: François Fillon et Emmanuel Macron évoquent le lancement rapide des études sur le nouveau porte-avions, afin que celui-ci arrive avant la fin de vie du PACDG vers 2040.
Benoît Hamon les rejoint mais n’évoque lui que le remplacement du Charles De Gaulle, pas de cohabitation donc. Contrairement aux autres candidats qui chiffrent le bâtiment à 4,5 milliards d’euros, lui parle du double, et émet l’hypothèse que l’on lance le programme avec des alliés – citant,  de façon surprenante… l’Allemagne – afin de réaliser des économies d’échelle.
Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignant prônent directement la mise en chantier du navire au plus vite (baptisée « Richelieu » et nucléaire pour MLP).
Chez Jean Luc Mélenchon, on invoque d’une part la puissance maritime française ainsi que les besoins du chantier naval de Saint-Nazaire de tourner. Toutefois dans le même temps… on juge un second porte-avions non nécessaire pour la simple et bonne raison que le terrain d’opération de prédilection étant la Méditerranée, la France dispose déjà de portes-hélicoptères « sous-utilisés » et de son porte-avions permanent avec la base de Solenzara (voir conférence ANAJ-IHEDN du 6 avril). Le fameux « USS Corsica ».

Un 2ème porte-avions ? Non. Un nouveau porte-avions !


Il faut bien différencier deux choses: parle t-on ici d’un second porte-avions venant seconder le Charles De Gaulle, ou du simple renouvellement d’ici la fin de carrière de ce dernier ?

Le temps a passé depuis les années 2000 et notre actuel porte-avions a déjà 20 ans. Il vient d’entrer pour 18 mois dans sa période de modernisation à mi-vie. A ce stade, on ne parle donc plus d’un sister-ship, mais bel et bien d’un remplaçant dont la construction serait décidée durant le prochain mandat présidentiel, après une phase d’études préparatoires qui décideront de spécificités techniques comme le tonnage, la propulsion, ou le format de catapulte.

Selon les études, les marins et les industriels, ce nouveau porte-avions présenterait un tonnage proche des 60 000 tonnes (comparables aux PA britanniques), pour une longueur de 300m. Il serait capable de mener simultanément des manœuvres d’appontage et de catapultage, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il accueillerait bien évidemment le Rafale, mais peut-être également la prochaine génération de drones de combat.
Un navire plus imposant que le Charles De Gaulle, mais adapté aux normes récentes, avec tout de même un tonnage inférieur de moitié au dernier né de l’US Navy, l’USS Gérald R. Ford.

Voilà à quoi pourrait ressembler le « Georges Pompidou » (les présidents de la 5ème République, pourquoi pas ?), mais pas le Richelieu de Marine le Pen. En effet, cette dernière, en proposant la mise en chantier du navire dès 2018 avec seulement un an d’études, lancerait là en quelque sorte un Charles De Gaulle modernisé « bis ».
A ce stade en fait, le mal est fait, le PA2 tel que pensé à l’origine, comme une version améliorée/actualisée du CDG, aurait dû être lancé il y a moins 10 ans. Il serait donc plus raisonnable de préparer la prochaine génération de porte-avions, et de le faire seul, au contraire de ce que propose Benoît Hamon. L’échec de la coopération avec les britanniques, comme le fait qu’il s’agisse d’un instrument de souveraineté diplomatique pousse en ce sens.

La vraie décision concernera le 3ème porte-avions

Encore une fois, il convient de préciser: ce « PA3 » serait bien le sistership du nouveau porte-avions entré en service vers 2030. Il arriverait lui en 2040, soit juste après le désarmement du Charles de Gaulle, qui aura alors servi près de 40 ans.
Ce navire permettrait bien évidemment d’éviter l’écueil que nous connaissons actuellement, à savoir un porte-avions qui n’est disponible que ponctuellement.

Seule Marine Le Pen s’avance à promettre le lancement de ce chantier, qui viendrait après son PA2 « Richelieu ».
Pour Emmanuel Macron, la décision sera prise dans le nouveau Livre Blanc. Il y sera en effet décidé si la France se lance dans la construction d’un seul nouveau porte-avions, ou de deux exemplaires.
Les autres candidats ne vont pas jusqu’à évoquer ce troisième porte-avions. Attention toutefois, 2040, c’est déjà demain.

[Remarque: Contrairement aux idées reçues, la constitution d’un deuxième groupe aéronaval ne veut pas forcément dire plus de Rafale, ou plus de Frégates. Le mot d’ordre demeure la permanence opérationnelle. Plus généralement, en ce qui concerne ces questions, je vous invite donc à lire mon cher collègue du blog référence en la matière, Le Fauteuil de Colbert.]

Grande Bretagne et USA à l’ouest, Russie à l’est, Chine et Inde en Asie, les grandes puissances ne comptent pas négliger le domaine maritime et misent aujourd’hui sur les porte-avions. La France est aujourd’hui la seule puissance derrière les Etat-Unis à posséder un tel appareil disposant de catapulte STOBAR. Un instrument de projection que certains aiment renommer par le titre suivant: « 42 000 tonnes de diplomatie ».
Peut-être les missiles tueurs de navires , où la 6ème génération d’avions de chasse, rendront les porte-avions obsolètes, mais nous sommes encore loin de cette rupture stratégique. C’est pourquoi il reviendra au prochain Président de la République d’être audacieux sur cette problématique.

Thomas Schumacher, Pax Aquitania

2 réflexions sur “Défense & Election Présidentielle, la question du nouveau porte-avions

  1. Sommes nous vraiment si loin que ça de cette rupture stratégique ? Les chinois clament avoir des missiles « tueurs de porte avions », ce n’est peut être que de l’esbroufe mais tout de même on est déjà dedans…

  2. l’existence d’armes anti porte-avions n’en n’est pas une. c’est une simple question de technique (comment protéger le bateau ou comment détruire les lanceurs adverses : tout est affaire d’argent. si on ne veut aps payer , on ne fait pas de porte-avions). rien de nouveau ; le déni d’accès vise simplement à tenir les porte-avions et la supériorité occidentale dans les airs le plus loin possible du champ de bataille
    la question est de savoir à quoi sert le porte-avions : outil de diplomatie navale (incluant l’emport possible de l’arme nucléaire, et la gesticulation par de mini opérations ciblées contre la terre), outil de supériorité maritime (incluant la lutte anti navire et le contrôle des flux maritimes), outil de projection de puissance vers la terre en appui d’une opération aéroterrestre (marquant un engagement fort)
    dans chacun de ces cas, le type de porte avions, sa taille et ses capacités, le nombre de batiments varie : pour la diplomatie : un CDG suffit, pour la supériorité maritime, plusieurs bateaux de petite taille ( 30-35000 t) suffisent, pour les opérations interarmées vers la terre, l’effet de masse est indispensable (vagues d’assaut aérien) , il faut de grands bateaux avec un groupe aérien costaud (60000 t)
    l’autre question est la suivante : peut-on faire autant pour moins cher (drone armé, PATMAR valorisé, bases aérienne prépositionnées), sachant alors que le gains ne retourneront pas forcément vers la marine nationale sous la forme de davantage de frégates ou de BPC.

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